Les pages noires

Des institutions  

religieuses

IRLANDE    

Les couvents de la Madeleine  et Les Industrials Schools

Dans la « Verte Eirin », ce n’est un secret pour personne, l’Eglise catholique pèse de tout son poids sur la société, laquelle demeure par conséquent très conservatrice. Ainsi, dire que le droit des femmes sur cette île est bafoué relève du pur euphémisme ! Très récemment encore, en Mars 2002, Irlandaises et Irlandais étaient conviés à un référendum visant à renforcer la législation anti-IVG. Lorsque l’on sait que celle-ci est la plus stricte d’Europe, interdisant même l’avortement en cas de viol, d’inceste, de risque de suicide ou de fœtus non viable, on peut à juste titre se demander ce qui pouvait bien signifier « renforcer la législation anti-I.V.G. »…

Par contre, on ne sera guère étonné d’apprendre que la très sainte Eglise catholique islandaise avait jeté toutes ses forces dans la bataille, appelant bien sûr la population à voter « oui ».

En matière d’éducation 93%des écoles primaires et 64% des établissements secondaires sont sous l’égide de cette Eglise catholique.

Pilier incontournable de la société et de l’Etat le clergé symbolise parfaitement là-bas le cercle vicieux qui peut émaner d’un pays où l’église est encore toute puissante et les notions de laïcité inexistantes. D’abord, ce clergé participe activement à la misère humaine : interdisant dans les consciences tout usage de contraception et dans la loi tout usage de l’avortement, il favorise l’émergence de familles comptant 6,7,8,..,10,…14 enfants, cela dans un pays qui, il y a encore quelques années, était comparé au Portugal pour son sous-développement économique.

Ensuite, puisque l’Etat n’assure pas du tout son rôle social, préférant confier le sort des déshérité(e)s aux institutions religieuses, le clergé a tout loisir de recueillir ainsi les résultats qu’a engendrés cette misère : femmes « fautives » rejetées par leur famille et le société, enfants abandonnés ou pris à leur mère, toutes et tous considérés, à cause de l’Eglise d’ailleurs, comme la source ou le fruit de péchés.

Nous avions dit cercle vicieux ? La boucle est bouclée lorsqu’on apprend que le clergé irlandais a su tirer d’énormes avantages pécuniaires des personnes qu’il avait accueillies et qu’il avait à charge d’éduquer ou de « rééduquer » en les exploitant en fait férocement.

Cercle vicieux ? Le terme « vicieux » prend enfin une connotation terriblement concrète quand on sait que ces mêmes  personnes, femmes et enfants,  eurent en outre à subir entre les quatre murs de ces institutions et dans des proportions inquiétantes maintes humiliations et sévices sexuels de la part de religieux et de religieuses, qui, partout ailleurs dans le pays, agitent si frénétiquement la bannière de la moralité et de l’ordre moral.

On savait déjà en Physique que concernant la matière, rien ne se perd et que tout se transforme. Et bien on saura désormais avec l’Eglise catholique irlandaise que rien de la misère ni de la détresse humaine ne se perd ou s’évapore mais au contraire tout peut s’exploiter sous les pires formes. Oui, cette église a bel et bien contribué au développement de la pauvreté tout en en récoltant cyniquement de fameux dividendes, en monnaie sonnante et trébuchante. Cela est donc très concrètement attenté par le cas des filles des couvents de la Madeleine et le scandale des enfants des « Industrial Schools ».

En Irlande donc, lorsqu’une femme est violée,  elle n’est pas forcément considérée comme victime mais plutôt comme fautive. Quant aux filles mères, n’en parlons pas… 

Toutes incarnent le péché et la voie de leur rédemption passait inévitablement il y a quelques années encore par l’univers quasi-carcéral des couvents de la Madeleine.

On sait depuis quelques temps, grâce à un documentaire et à un film, que ces filles et ces femmes durent, pour « racheter leur âme », travailler comme des forçats dans les blanchisseries de ces couvents, cela dix heures par jours à laver le linge des hôtels, des universités ou des collectivités locales. Besogne d’ailleurs ô combien lucrative pour l’institution religieuse qui ne versait aucun salaire à ces filles mais récoltait tout l’argent de leur travail. On sait également qu’il était impensable de songer à sortir du couvent, que les contacts avec le monde extérieur y étaient interdits et qu’en outre punitions, humiliations, sévices corporels voire sexuels étaient monnaie courante.

Oui, des milliers de femmes furent internées dans les couvents de la Marie-Madeleine afin de connaître une rédemption mais c’est en fait un véritable enfer qui s’abattit sur elles. Histoire digne du Moyen Age ? Le dernier de ces « ateliers de dieu » a fermé en 1996 ! Dans un article sur le film « The Magdalene Sisters » de Peter Mullan, Pascal Mérigeau relevait comme l’arrivée des machines à laver fut la seule bénédiction que reçurent jamais les malheureuses pensionnaires, comme si  la nécessité de les rééduquer cessait en même temps que s’évanouissait la possibilité de faire de l’argent avec leur travail.

On peut aussi se demander quel fut l’itinéraire de ces femmes enfin relâchées dans une société qu’elles ne connaissaient parfois plus depuis fort longtemps et qui, parce qu’elles étaient forcément pécheresse, n’allait pas les accepter de gaîté de cœur….

Orphelins, enfants abandonnés, enfants soustraits à des familles pauvres ou des filles mères, parfois petits délinquants, ils furent 200 000 à être « confiés » par la justice irlandaise aux congrégations religieuses.  Non contentes de recevoir pour chacun d’eux une allocation de l’Etat, ces congrégations mettaient les enfants au travail dans des manufactures pompeusement baptisées « Industrials Schools » où ils étaient contraints de fabriquer des matelas, des bottes, des chaussures, de faire des travaux de blanchisserie, de

menuiserie ou de boulangerie.

D’un lieu ou d’une année à l’autre, les mêmes anecdotes reviennent. « La nourriture était pourrie. Jamais de viande. Juste des patates et des tranches de pain. Les grands prenaient tout, les plus petits n’avaient aucune chance. Certains mangeaient de mauvaise de mauvaise herbes » témoigne John Kelly. « Et quand je suis sorti de cette prison de Daingean, près de Dublin, je ne savais pas même lire mon nom. »

Maurice Ward raconte, lui, comment un juge l’a condamné en 1956 à une peine de six ans et demi à passer dans une de ces maisons de redressement parce qu’il faisait l’école buissonnière. Il avait été en fait laissé à lui-même, abandonné par des parents trop pauvres pour subvenir à leur large progéniture :sur 14 frères et sœurs, 11 ont terminé comme lui dans des établissements où l’on n’enseignait que la peur et la discipline. Il se rappelle les humiliations, les châtiments corporels, la solitude… et les viols commis par les religieux. Sortant un cliché représentant une soixantaine d’enfants posant avec leurs prêtres en chasuble, il constate : »Nous sommes quatorze à vivre encore. La plupart se sont suicidés »

Carmel Mac Donnel Bynne, confiée quant à elle aux sœurs de la Miséricorde devait dormir les mains sur les épaules pour ne pas toucher son corps « impur ». Abandonnée par sa mère, elle a été placée comme ses sept frères  et sœurs dans une Industrial School. Une de ses sœurs a tenté plusieurs fois de s’enfuir et a donc été internée dans un asile psychiatrique à 14 ans. Elle y végète toujours… Ses deux frères aînés sont morts par noyade un an, jour pour jour, après la disparition de leur mère. « On m’a dit que c’était un accident. J’ai toujours trouvé ça étrange ».

Lorsque Carmel a appris la nouvelle, elle a reçu deux bonbons, un par décès. « Dans la journée, pendant que je nettoyais le couloir, j’ai éclaté en sanglots. Une religieuse m’a donné une gifle et m’adit d’arrêter ce comportement stupide. » Elle apprend donc à devenir une fille docile et silencieuse. Comme elle travaille vite, les sœurs la retiennent une année de plus… « Elles n’avaient pas le droit mais je ne le savais pas » regrette Carmel.

C’était un système où chacun savait et se taisait : l’Etat prévenait deux mois à l’avance qu’il allait inspecter l’école ». La veille de l’arrivée des inspecteurs, couteaux et fourchettes apparaissaient, la nourriture s’améliorait tandis que les enfants qui présentaient des marques et des mauvais traitements étaient cachés.

Depuis, les langues se sont toutefois déliées et certains masques sont tombés grâce à des associations créées par d’anciennes victimes ainsi qu’à un retentissant film documentaire : « States of fear ». En 1999, le Premier Ministre Bertie Aherna dû présenter ses excuses « sincères » à toutes les victimes des institutions religieuses irlandaises. Son gouvernement a d’autre part fait état, en Janvier 2002, d’un plan d’indemnisation suite à près de trois années de commission d’enquête. 

Ce plan d’indemnisation a été cependant jugé honteux par plusieurs associations de victimes car, si les ordres religieux doivent dédommager leurs anciens pensionnaires à hauteur de 128 millions d’euros, c’est l’Etat (et donc le contribuable) qui devra prendre à sa charge la plus grosse part d’indemnisation, estimée entre 200 et 500 millions d’euros…

Secouée par les scandales, l’Eglise irlandaise a donc perdu son magistère. Il ne se passe pas un mois sans qu’un nouveau prêtre soit accusé de pédophilie. Récemment, une congrégation a demandé à une agence de relations publiques de redresser son image. A sa grande surprise, elle a essuyé un refus. Ses interlocuteurs lui ont expliqué qu’une campagne de promotion, dans le climat actuel, ne servirait à rien et lui ont conseillé de revenir dans 10 ans…

Et ce n’est certainement pas le film de Peter Mullan, « The Magdalene Sisters » qui a fait un tabac en Irlande, qui risque d’améliorer l’image de marque de l’Eglise de ce pays !

( Article réalisé avec l’aide de Philippe BESSON)