Débat Chevalier de la Barre

Message envoyé par Claude Singer - de la Fédération Nationale et du 95 - le vendredi 5 mars 2004

" Marion Sigaut écrit :

"L’Eglise est une organisation hiérarchisée, connue de tous, qui ne peut en aucun cas être confondue avec la magistrature, corps distinct et totalement indépendant." et plus loin ... "pas l'ombre d'une soutane, désolée" ....

Totalement indépendant sous l'Ancien Régime ? Sans doute une nouvelle version de l'histoire qui m'avait échappé, mais on ne saurait faire attention à tout ce qui sort ...

Par ailleurs, certes l'Eglise ne pas fait de procès. N'empêche que c'est bien pour des faits religieux (et pas "futiles" ... si non on doit admettre qu'un prétexte religieux "grave" doit avoir pour conséquence juste "l'incendie" du criminel ...) que La Barre a été condamné. Qu'il y ait eu malversation et menées d'un juge par ailleurs ennemi de la famille de La Barre (et notamment de sa tante), c'est certain : sans doute La Barre n'aurait pas été exécutée sans ses menées, mais on ne refait pas l'histoire. Il n'empêche qu'il a été exécuté pour ne pas avoir salué une procession et pour avoir chanté des chansons "obscènes" et antireligieuses. C'est donc bien pour un fait de religion qu'il a été exécuté. Si non il faut dire que tous les "hérétiques", les "sorcières", etc. qui ont été torturés et brûlés dans le passé ne l'ont pas été du fait de la religion d'Etat (le catholicisme), sous prétexte qu'elle remettait l'accusé dans les mains du "bras séculier" (si je peux me permettre une image assez hardie).


A ce propos, il est intéressant de remarquer que le délit de blasphème, aujourd'hui, existe dans les pays qui ont des Eglises reconnues, établies, nationales. Et le blasphème n'est valable que pour les "offenses" faites à ces Eglises, pas pour les autres, ou pas pour les offenses faites aux non-croyants ... L'Eglise n'a rien à voir avec ça, puisque ce sont des tribunaux civils qui condamnent (rarement de nos jours du fait de la réaction populaire, mais quand même cela existe.)

Le Dr. Shaikh, au Pakistan, condamné par un tribunal civil à la peine de mort pour blasphème (et heureusement libéré par l'action internationale) n'est-il pas victime de l'islam et de ses intégristes ?

Notre amie Marion met en pratique une règle d'Eglise : que ta main droite ignore ce que fait ta main gauche ....

Amicalement
C.S. "


Réponse de Marion Sigaut le 08-03-2004

Si l’Eglise a un jour édicté une règle qui demande que la main droite ignore ce que fait la gauche, (j’aimerais qu’on me donne la source de cette intéressante information), je ne sache pas que quiconque puisse m’imputer cette règle ni dans ma vie, dans mes publications, ni dans ma contribution sur La Barre. Aussi, si la libre-pensée peut se conjuguer avec la liberté d’expression, il serait séant que ce genre d’attaque injustifiée, et injurieuse, n’ait pas cours dans le débat.

Si cela intéresse quelqu’un, la règle que je mets en pratique en l’occurrence est de rechercher la vérité, même si elle dérange ce que j’ai cru vrai.

Je n’ai jamais dit que La Barre n’avait pas été exécuté sous des prétextes religieux, mais qu’il ne l’avait pas été par l’Eglise, ni sous sa pression. Et je le répète. Et ce n’est pas en appelant au secours l’Inquisition, la chasse aux sorcières, l’islamisme radical ou autre, qu’on changera quelque chose à cette vérité historique.

Au dix-huitième siècle, les magistrats ont infiniment plus fait d’ingérence du laïc dans le religieux que l’Eglise n’a fait d’ingérence dans le laïc. C’est une réalité, dont je me demande bien en quoi elle peut déranger la libre-pensée. La laïcité, à laquelle je suis profondément attachée, réclame une totale séparation des Eglises et de l’Etat, et quand des nobliaux sadiques torturaient à mort et en public des malheureux pour des broutilles, il va de soi qu’ils ne le pouvaient que dans la mesure où la loi les autorisait à le faire. Une loi qui permettait à des magistrats totalement civils, n’appartenant pas à l’Eglise catholique (contre laquelle ils n’ont cessé de se battre, parfois victorieusement), de se mêler de juger de sacrilèges, de sacrements, de possession démoniaque et autres.

Et cela ne devrait pas masquer que dans le cas de Damiens, de Lally Tollendal pour citer les plus connus, et des milliers d’autres qui ont été brûlés, torturés abominablement, rompus vifs, dépecés publiquement, ils ont utilisés d’autres prétextes tout aussi arbitraires : lèse-majesté, haute-trahison, vol d’un mouchoir ou émeute de la faim. Tout leur était bon. Savez-vous que le parlement de Paris a fait pendre un huissier de justice pour avoir dit dans un cabaret qu’il y avait du louche dans le procès Damiens ?

Alors une bonne fois, je ne défends pas l’Eglise, je défends la vérité historique. Si l’Eglise a commis des crimes, il est juste qu’on les lui impute. Mais il est inadmissible de lui imputer ceux des autres, et c’est d’autant plus odieux que la tyrannie insensée exercée pendant des siècles sur la population par les magistrats, est totalement passée sous silence et inconnue du public.

Marion Sigaut


Message envoyé par Edouard Lemoigne (de la Fédération de la Libre Pensée des Côtes d'Armor) le 28-02-2004

La responsabilité de l'Eglise dans le procès et la condamnation du Chevalier de La Barre, selon Voltaire.

(...)Malheureusement l’évêque d’Amiens, étant aussi évêque d’Abbeville, donna à cette aventure une célébrité et une importance qu’elle ne méritait pas(89). Il fit lancer des monitoires; il vint faire une procession solennelle auprès de ce crucifix, et on ne parla dans Abbeville que de sacrilèges pendant une année entière. On disait qu’il se formait une nouvelle secte qui brisait tous les crucifix, qui jetait par terre toutes les hosties et les perçait à coups de couteau. On assurait qu’elles avaient répandu beaucoup de sang. Il y eut des femmes qui crurent en avoir été témoins. On renouvela tous les contes calomnieux répandus contre les juifs dans tant de villes de l’Europe. Vous connaissez, monsieur, à quel excès la populace porte la crédulité et le fanatisme, toujours encouragé par les moines.

Le sieur Belleval, voyant les esprits échauffés, confondit malicieusement ensemble l’aventure du crucifix et celle de la procession, qui n’avaient aucune connexité. Il rechercha toute la vie du chevalier de La Barre: il fit venir chez lui valets, servantes, manoeuvres; il leur dit d’un ton d’inspiré qu’ils étaient obligés, en vertu des monitoires, de révéler tout ce qu’ils avaient pu apprendre à la charge de ce jeune homme: ils répondirent tous qu’ils n’avaient jamais entendu dire que le chevalier de La Barre eût la moindre part à l’endommagement du crucifix.

On ne découvrit aucun indice touchant cette mutilation, et même alors il parut fort douteux que le crucifix eût été mutilé exprès. On commença a croire (ce qui était assez vraisemblable) que quelque charrette chargée de bois avait causé cet accident.

«Mais, dit Belleval à ceux qu’il voulait faire parler, si vous n’êtes pas sûrs que le chevalier de La Barre ait mutilé un crucifix en passant sur le pont, vous savez au moins que cette année, au mois de juillet, il a passé dans une rue avec deux de ses amis à trente pas d’une procession sans ôter son chapeau. Vous avez ouï dire qu’il a chanté une fois des chansons libertines; vous êtes obligés de l’accuser sous peine de péché mortel.» (...)

Sources : http://perso.wanadoo.fr/dboudin/VOLTAIRE/labarre.htm

Monitoire : Lettre d'un juge ecclésiastique pour obliger ceux qui ont connaissanced'un fait à le révéler. (Larousse 2 vol).


Réponse de Marion Sigaut du 1er mars 2004

" Merci d'avoir bien voulu répondre à mon texte et entamer ainsi le débat.


Il semble qu'il n'y ait bien que le texte de Voltaire pour imputer le crime (ou une partie de la resonsabilité du crime) à l'Eglise. Or ceci (qui ne m'était pas inconnu) pose divers problèmes.
1. Si l'évêque a demandé un monitoire (qui répondait en général à des demandes expresses de la justice ordinaire, auxquelles souvent les curés refusaient d'obéir) ce n'était pas contre La Barre, mais afin de retrouver les auteurs d'un saccage. Il avait le droit de le faire, cela n'impliquait aucunement qu'il soupçonnait La Barre lui-même, ni surtout qu'il ait eu la moindre intention ni le moindre pouvoir de le faire tuer pour ça.
2. "Vous connaissez, monsieur, à quel excès la populace porte la crédulité et le fanatisme, toujours encouragé par les moines. " : Voltaire se plait et se complait, dans tous ses "reportages", à donner des événements auxquels il n'a pu assister, une version bien à lui visant à systématiquement faire passer les braves gens pour des imbéciles et les ecclésiastiques pour des fanatiques. Il ne suffit pas que Voltaire l'écrive pour que cela soit vrai. Voltaire ne cite aucune source à ses informations, et ce ne serait pas la première fois qu'on le prendrait la main dans le sac à diffamer ses contemporains. En d'autres termes, Voltaire n'est pas une source d'information sur autre chose que sur les opinions de Voltaire.
3. Si on relit bien la relation de Voltaire, on apprend bel et bien que c'est Belleval qui a mené la cabale mortelle contre La Barre. Belleval, magistrat ni plus ni moins. Ni curé ni moine ni évêque; Juge local, soutenu ensuite, quand La Barre aura fait appel au parlement de Paris, par les magistrats parisiens, comme un seul homme.


Pas l'ombre d'une soutane dans tout ça. Désolée.


Marion Sigaut "

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